A huit ans,
je pensais que le monde des adultes n'était réservé qu'aux grandes personnes,
et que celui dans lequel j'évoluais,
n'appartenait qu'aux enfants.
Papa et Maman, étaient certainement déjà nés
"Parents" !
Il ne pouvait en être autrement !
J'étais aussi persuadée que le Temps n'avait jamais existé avant ma naissance
et j'avais la prétention de croire,
qu'il avait vu le jour en même temps que moi,
un beau matin de juillet.
Pourtant je savais qu'il y avait eu un "Avant"
Je l'apprenais tous les jours à l'école dans mon livre d'histoire.
Mais tout cela me paraissait flou et bien trop lointain .
Je n'avais pas encore compris le véritable sens du mot "Fin"
Aux récits, je savais toujours inventer une suite, jamais un début .
Et puis, quelle importance...puisqu'ils commençaient tous par
" Il était une fois... "
Mon père avait été un enfant.
Je dus me rendre à l'évidence, le jour où la preuve fut étalée
sur la table de la cuisine de ma grand mère.
Papa était là... sagement assis parmi d'autres enfants, les bras croisés,
pareil à ces écoliers que l'on voit avec nostalgie sur les photos des calendriers.
Je savais que c'était lui et en même temps il était un Autre.
Un petit garçon que je ne connaissais pas et dont le visage pourtant m'était singulièrement familier.
L'enfant que j'apercevais là sur cette vieille photo, semblait sortir d'un Ailleurs,
d'un passé très lointain au regard austère.
Tout en me ressemblant étrangement...
1931.
Papa avait huit ans.
Il était élève au Pensionnat du Sacré Cœur.
Il était élève au Pensionnat du Sacré Cœur.
Ces regards d'enfant sur ces photos de classe ne tardèrent pas à m'interpeller.
Peut être pas tout de suite, un peu plus tard ...
Il fallait d'abord que je m'en imprègne, que je les observe,
avant de comprendre
le pourquoi...
Il fallait d'abord que je m'en imprègne, que je les observe,
avant de comprendre
le pourquoi...
Pas de sourires affichés, seulement une retenue mesurée et une gravité profonde.
Mais à travers ces visages fermés, en les observant bien
je ne tardais pas à percevoir dans leurs yeux enfantins une petite étincelle,
la même que celle qui brillait dans les miens.
Familiers!
Ils le devinrent bientôt.
Il m'étaient tous inconnus et pourtant je les connaissais.
"Laisse-moi deviner ou se trouve papa ! "
disais-je à ma grand mère
et mon doigt ne se trompait pas.
Ses yeux malicieux semblaient déjà me dire,
"Je suis là , ma chérie " !
Si j'ai intitulé ce texte "La dame au chapeau vert"
ce n'est pas sans raison !
Tout d'abord un clin d'œil à un ouvrage oublié
"Ces dames aux chapeaux verts"
Et puis, je trouvais la similitude amusante !
Lorsque le carillon de la cloche retentissait,
les enfants aux visages figés sur la photo du Pensionnat du Sacré-Cœur,
redevenaient des gosses comme les autres.
Et mon papa était un petit coquin !
L'école n'était pas très éloignée de la maison,
et bien que ma Grand-Mère puisse apercevoir du haut de son balcon son fils jouer dans la cour de récréation elle ne pouvait le suivre des yeux sur le chemin du retour.
Il le savait !
Et c'est au détour d'une de ces rues qui le ramenait à la maison
qu'il fit une rencontre inoubliable.
"La dame au chapeau vert."
Bien entendu la couleur de son couvre chef importait peu,
mais sa tenue vestimentaire incitait à la Moquerie,
et les garçons en saisirent immédiatement l'occasion.
A la description qu'en faisait mon père lorsqu'il nous racontait son aventure,
je m'imaginais déjà cette personne.
Je la connaissais !
Je l'avais déjà vue, dessinée sur une des pages en couleur d'un de mes livres de la collection Rouge et Or
"Mon petit Trott".
La préceptrice anglaise a la mine sévère et
dont les baleines de son corset semblaient remonter jusqu'à ses maxillaires.
La dame au chapeau vert trottait d'un pas alerte sur le même trottoir que mon père.
Dieu sait vers quelle direction !
Avec ses petits camarades, il n'était pas pressé de rentrer.
La demoiselle devint vite l'unique cible de leurs railleries.
"Petits garnements! " criait elle.
Mais ni les injonctions, ni les menaces d'aller se plaindre à leurs parents
ne venaient à bout de leurs moqueries
Rien n'y faisait !
Au contraire ...
Ce jour là mon père n'était pas en reste,
Il se trouvait en première ligne,
comme le Chevalier Bayard à l'assaut de la citadelle.
Cette demoiselle
Il ne l'avait jamais vu !
Le risque d'être puni lui paraissait insignifiant.
Bientôt lassé par les taquineries infligées à la demoiselle au chapeau
et par son détour buissonnier par les ruelles étroites,
Papa décida qu'il était temps de rentrer.
Après s'être revêtu de son uniforme d'enfant sage,
il se mit à gravir à grandes enjambées les quatre étages de sa maison
tout en espérant que son retard ne lui coûte une réprimande.
En haut de l'escalier,
ma grand mère agitait déjà la main lui faisant signe de se dépêcher.
Encore quelques marches et il serait auprès d'elle.
Qu'avait elle de si important à lui annoncer ?
Avait-elle prévue une bonne surprise..
Lorsqu'il arriva tout essoufflé au dernier étage,
quelle ne fut pas sa stupéfaction !
Aux cotés de sa mère se tenait droite et fière, la demoiselle bafouée...
La "Dame au chapeau vert".
"Voilà mon petit André " chuchota ma grand mère.
A cet instant, Papa savait qu'il avait été démasqué.
Plus aucun son ne voulu sortir de ses lèvres
et les paroles de politesse qu'il aurait fallu formuler en de telle circonstance,
semblèrent soudain s'étrangler dans sa gorge.
"Je te présente ton professeur de diction " ajouta ma grand mère.
A ces mots, ses joues devinrent aussi rouges
que les pommes qui se trouvaient rangées dans la corbeille à fruits de la cuisine .
La sanction n'allait pas tarder à tomber !
Il en était convaincu...
Les joues cuisantes de remords et de honte
Papa se mit à bafouiller un timide
" Bonjour",
tout en adressant un regard implorant à la demoiselle.
" Voyez comme cet enfant a bien besoin de vos leçons ! "
ajouta ma grand mère.
L'aventure s'arrêta là.
Le secret fut gardé et la leçon comprise.
Sans doute pour lui éviter une punition bien méritée,
la demoiselle n'en a jamais soufflée mot à quiconque.
Quant à Papa, il lui en a conservé une reconnaissance éternelle.
Ce jour là, le rouge inhabituel de ses joues et son bégaiement inopiné
furent certainement attribués à quelque juvénile timidité.
L'incident fut vite clos.
.
Mlle Chabrand était professeur de diction au pensionnat de filles
" Saint Charles"
Son chapeau n'était peut être pas vert,
mais l'indulgence dont elle avait dispensée mon père ce jour là,
en fit désormais à ses yeux, et pour toujours
une demoiselle très respectable.
"La dame au chapeau vert... "
Nicole.
Les cheveux en quatre
Souvenirs d'enfance
3 commentaires:
Je comprends ces lecteurs lointains qui sont venus lire ce texte.
J'attends une suite... vite !
Carabas
Madame Nicole,
vous vous êtes cassé les deux bras ?
Pas de problème, avec ma méthode rapide "apprenez à taper avec les pieds" vous allez pouvoir continuer à nous régaler de vos aventures.
Imaginer tout ce qu'il reste de chapeaux à décrire, les jaunes, les bleus, les verts, ah non c'est fait !
les noirs, les rouges. Et je n'ai cité que les couleurs primaires. Si on rajoute les rayures, les à pois, les à fleurs, vous avez de la planche sous le pain.
Alors bon appétit !
Jérémy Watson
Je passais par là, et le titre a accroché mon oeil vagabond.
Moi j'étais persuadé que c'était les enfants qui restaient enfant toutes leur vie. Je m'y suis appliqué au mieux. Et c'est bien plus marrant que de devenir adulte.
Harry
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