jeudi 7 octobre 2010

Anne | Les 5 opérations

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 ANNE 
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Je suis née en 1949, dans une petite ville de Lorraine.  Dans cette période de l'après-guerre, chaque enfant était pour tous, un cadeau du ciel. Mes premières années passèrent ainsi, entourées d'attentions affectueuses. J'étais chez moi, partout.
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A deux ans
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une après-midi, j'ai dû accompagner mon frère au Pensionnat. Arriva l'heure de rentrer. Je refusais.
Soutenue par les supplications de tous ceux que j'avais diverti avec mes imitations, j'y suis revenue le lendemain. Et les jours suivants, pendant trois ans.
J'allais y faire la connaissance d'une nouvelle et nombreuse famille, qui était là sans y être, et avait vécu des aventures extraordinaires.
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Parmi eux, le plus cher à mon cœur, était Saint Nicolas. Il avait sauvé d'un boucher cruel, trois petits enfants, coupés en morceaux et mis au saloir.
Mais surtout, il se déplaçait en personne, début décembre, pour nous apporter des cadeaux.

Sa venue était célébrée
par une immense et fervente procession.
Je ne l'ai aperçue qu'une seule fois,
de façon fugace,
mais j'en suis restée émerveillée à jamais,
par les lueurs vacillantes des flammes dans la nuit.
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Tout le jardin d'enfants participait
à la Crèche Vivante qui célébrait
la naissance du Petit Jésus.

Tous les soirs, les mains bien jointes, à genoux au pied de notre lit, nous demandions à ce nouvel ami de nous rendre bien sages. Nous le chargions aussi de protéger tous ceux que nous aimions, que nous énumérions longuement pour retarder le moment de nous coucher.

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Son histoire me ravissait. Sa naissance. L'aide apportée par le Bœuf et l'Ane. L'Étoile guidant les Rois Mages et que je cherchais dans le ciel. Ses deux pères. Sa mère, La Vierge Marie qui était la fille de Sainte Anne. Porter le prénom de sa grand-mère me rendait très fière et c'était un argument qui laissait mon frère sans voix, quand je me disputais avec lui.
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Je venais d'avoir cinq ans
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lorsque nous avons déménagé à Marseille.
La Cité Radieuse de Le Corbusier
était à peine terminée.
Personne ne voulait y habiter,
et on l'appelait La Maison du Fada.
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Nous y étions peu nombreux,
et très vite, nous avons retrouvé autour de nous,
un monde rassurant, familier et chaleureux.
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J'étais une enfant rêveuse, qui adorait parler, franchissant, sans la voir, la frontière entre ce que les adultes appelaient, vérité et mensonge.
Mon imagination était façonnée par toutes les histoires et les légendes qui m'avaient été racontées.
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J'avais la passion des livres, et j'allais très vite pouvoir les lire seule. Mais déjà, j'en avais retenu assez pour en décrypter les images.

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Avec un enchantement qui n'appartenait qu'à moi, je me laissais happer par des univers qui me semblaient tout à fait réels.
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J'allais m'y réfugier souvent. Sans doute pour échapper au mien, envahi par un petit frère et une petite sœur qui prenaient beaucoup de place.

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Je garde un souvenir très fidèle
de mon arrivée dans ma nouvelle école

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Dès la première pièce que j'ai visité,
j'eus un coup de foudre.
Sur un rayon de soleil, un Ange étincelait,
blanc et bleu,
de l'or sur son manteau et ses ailes.
Il inclinait son beau visage pour dire merci,
lorsque l'on glissait une pièce
dans une fente sur sa poitrine
.
Il devint pour moi
l'incarnation de mon Ange Gardien.

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Nos activités scolaires
étaient bien différentes de celles de La Communale
que fréquentait mon frère aîné.
Si nous avions des maîtresses,
c'étaient les Sœurs qui s'occupaient de nous
en dehors de la classe, et nous les adorions.
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Notre journée commençait par la prière,
les yeux fixés sur le Crucifix
accroché au mur de la classe.
Nos dictées et pages d'écriture
soulignaient
les grands moments de l'année.



A midi, avant de nous asseoir
nous rendions grâce à Dieu pour le repas
que nous allions prendre.
Et nous chuchotions parfois entre nous,
reprenant ce que l'on trouvait
sur nos cahiers,
qu'il pourrait mieux faire.
Particulièrement le vendredi, jour du poisson.
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Le Catéchisme
Une fois par semaine, nous allions à l'église,
parcourant en rang joyeusement désordonné,
la centaine de mètres qui nous en séparait.
C'était l'occasion d'observer tous les détails
que nous devinions
depuis notre cours de récréation.
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La maison de la cantatrice,
d'où parvenait parfois un chant lointain.
La vapeur qui sortait du soupirail
de la blanchisserie.
L'animation bruyante,
autour des marchands de la place.
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Le contraste était grand
entre l'extérieur, inondé de lumière,
et la semi obscurité qui régnait à l'intérieur.
Il flottait dans l'air un reste d'encens
du dimanche précédent.
En entrant, nous plongions l'extrémité
de notre main droite dans le bénitier,
et le Signe de Croix nous mouillait le front.
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L'abbé Pirot
pour lequel je ressentais
une profonde affection,
était bienveillant, toujours souriant,
et son enseignement était à son image.
Il nous parlait du Ciel et de l'Enfer,
nous décrivant le second
comme s'il ne nous concernait pas vraiment,
et s'attardant sur le premier avec lyrisme.
.
Ce Ciel
où nous irions rejoindre
ceux qui nous avaient précédés,
était quelque chose de palpable.
Comment douter de son existence
quand il suffisait de lever les yeux
pour en saisir la beauté
et tous ses mystères ?
.
Ce bleu profond parfois teinté de rose
qui s'étendait à l'infini.
.
Ces nuages blancs irradiants de soleil.
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Ceux d'un gris sombre
annonçant pluie, orage et éclairs,
que je contemplais
comme une manifestation divine spectaculaire.
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La nuit, qu'une myriade d'étoiles faisaient palpiter
comme les âmes qui y vivaient.
.
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Ces mirages exerçaient sur moi
une fascination profonde.
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L'Histoire Sainte
différait peu de mes récits familiers.
Jésus y occupait la première place.
Nous le suivions depuis sa naissance
jusqu'à sa Résurrection,
qui m'impressionnait beaucoup plus
que sa Crucifixion.
Les images pieuses nous le montraient
grandissant entre ses parents,
comme un enfant ordinaire.
Sur l'une d'elle,
dans l'atelier de Saint Joseph,
il clouait gaiement deux planches
pour en faire une petite croix.
.
.
Cela m'amenait à le considérer
avec le même regard qu'un personnage
des Contes d'Andersen, mon livre préféré.
Son univers n'était pas le nôtre.
Il venait au monde à Noël.
Vers le mois d'avril, déjà vieux,
il avait déjà terminé sa vie.
Il ressuscitait trois jours plus tard,
pour monter au ciel au mois de juin.
Puis tout recommençait au Noël suivant.

Ce qui m'intriguais,
c'était l'intérêt que les adultes
portaient à cette histoire.

J'avais plus de mal avec la Sainte Trinité,
le Père, le fils et le Saint Esprit.
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Ma mère en était en partie responsable.
Elle ne cessait de répéter,
en découvrant nos bêtises,
et notre peu d'empressement à les reconnaître,
... ça ne c'est pas fait
par l'opération du Saint Esprit !
.
Un jour, en calcul, interrogée sur les 4 opérations,
j'ajoutais fièrement après les avoir énumérées,
qu'il en manquait une.
Ah bon, et laquelle ?
Celle du Saint Esprit !

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;
Ma réputation de clown en sorti grandie,
mais je me sentis, pour une fois,
injustement punie,
en faisant mes tours de cours
à la récréation suivante.
.


Certaines images figurent depuis longtemps dans mes dossiers personnels. Je ne peux en citer les auteurs. Je retirerai tout document litigieux, si l'on m'en fait la demande en laissant un commentaire
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vendredi 1 octobre 2010

Nicole | Sur un rayon de lune.


NICOLE
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Tout là bas, il est un chemin qui s'enfuit dans la bruyère
Donnes moi encore ta main
pour que la vie soit moins amère....





Le sentier de la colline est escarpé, mes espadrilles neuves glissent sur les cailloux.
Aujourd'hui, le soleil est écrasant sous le ciel bleu de juillet
et l'air empli du chant assourdissant des cigales m'enivre .
Tout est parfum et couleur.
Et pourtant, je ne vois plus rien, je n'entends plus rien .
Tout devient flou!
le temps s'efface, le temps se fige.
Subsiste seulement le tumulte de mes pensées et les battements de mon coeur.


Je reviens de la Croix, celle qui est perchée tout en haut de la colline.
je suis à Beaumont de Pertuis comme toutes les autres années pendant les vacances scolaires.
Mais celle ci sera différente.

Nous marchons maintenant tous deux en silence
une tendresse infinie passe entre nos mains réunies.


Tout là haut , nous avons imaginé...
Un simple trou entre deux buissons !
c'est devenu la porte du centre de la terre
et nos oreilles collées contre le sol rocailleux
ont perçues le grondement sourd des battements de nos coeurs.



Pour me rassurer, Pierre a pris ma main
il ne la lâchera seulement qu'une fois arrivé au bas du sentier
C'est notre secret!


Ce soir, après le repas
alors que nos parents partiront jouer aux cartes avec leurs amis
nous irons  sur le banc, au bout du village.
Assis côte à côte , ma main dans la sienne
nous regarderons les étoiles briller
nos coeurs à l'unisson, sans un mot superflu
nous rêverons notre vie
l'espace d'un instant,
l'espace d'un été.
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En ces temps là
Nous avions quatorze ans.
C'était hier.


"Sur un rayon de lune j'ai vu ton visage
tu étais si loin dans ce ciel tout noir
Je tendais les bras vers ce beau mirage
mais j'étais trop petite pour aller vers toi
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Sur un rayon de lune j'ai vu ton sourire.
Il était si clair il était si doux .
Je voulais l'emporter comme une belle image
mais j'étais trop petite pour aller vers toi
_____________________________________
maSur un rayon de lune, j'ai vu ton chagrin,
tu étais si triste dans ce ciel tout noir
Je tendais mes lèvres pour baiser tes larmes
mais j'étais trop petite pour aller vers toi .

Alors j'ai voulu m'enfuir loin du rayon de lune 
Pour ne plus voir ton chagrin, ni entendre ta voix 
Mais si je suis trop petite pour aller vers toi 
Mon Amour est si grand qu'il va  jusqu'à toi ."



A Pierre ...mon Ami.
Nicole.







lundi 23 août 2010

Nicole | La fête de Rose.


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NICOLE
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"Mademoiselle Rose a bonne mine,
le teint frais d'un rose naissant
On mettrait sa chair en tartine
       tant elle a l'air appétissant ...."


Papa changeait toujours le prénom lorsqu'il déclamait ce poème.
J'étais très fière de lui  !
je croyais qu'il en était l'auteur.

Aujourd'hui c'est le jour de la fête de Rose.
et cette petite fille vaut bien un poème





Rose est jolie comme un bouton de rose.
Ses parents en sont très fiers.
Elle est fille unique.
 Ils vont pouvoir lui apporter tout ce qu'ils n'ont pas eu.
Rose sera heureuse .



 



Rose grandit dans le quartier du Rouet.
C'est une petite fille espiègle.
Elle va à la communale avec ses cousins Émile et Roger,
aime faire des farces à tout le monde
et remporte tous les premiers prix de grimaces du quartier.

Tous les jours,
 après le repas de midi elle court vite chez sa grand mère qui habite tout près.  
Elle a envie de voir ce qu'elle a préparé de bon.
Rose est très gourmande.
Elle dit " Mémé , je n'ai  pas bien  mangé  !" 
et la voilà de nouveau attablée.
Rose adore sa grand mère.





Rose est gâtée.
Elle a de bonnes notes à l'école et fait la joie de ses parents.
Une enfance heureuse et sans histoires 
comme chez les gens simples. 
Son père est ouvrier 
sa mère s'occupe de la maison.
Son seul péché mignon
elle aime les portraits.
Alors elle fait prendre la pose à  Rose
 chez tous les meilleurs photographes de la ville.





Marie est toujours inquiète pour sa fille,
elle se fait du souci
et même lorsqu'elle l'inscrit à la colonie de la paroisse
elle se fait engager comme cuisinière
pour être encore auprès d'elle ...
Au grand désespoir de Rose !




Le temps passe.
Rose a quinze ans.
C'est maintenant  une adolescente.
 Comme toutes les autres filles de son âge, 
 elle aime toujours sortir avec son cousin Roger,
 raconter ses petits secrets à son amie Josette
et continue à faire le bonheur de ses parents.






Puis  un jour,
 alors qu'elle  passe par hasard dans une rue 
un jeune homme est là qui la regarde .
Il lui fait signe d'un sourire
"Bonjour Mademoiselle  "
Rose est si belle !

Elle le regardera d'un air un peu étonné,
lui rendra son sourire,
et  ce sera le début d' une autre histoire. 
Elle a seize ans .






Comme j'aime Rose !




Rose est ma mère.


Bonne fête Maman.


à  ma Mère   dont l'absence est devenue  si   longue...

Nicole.




Ce texte fait suite à  La Vie en Rose 

jeudi 29 juillet 2010

Nicole | Les découpages.

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 NICOLE 



Le papa est souvent absent.
La Maman est toujours très jolie.
Un chapeau orne parfois ses cheveux,
impeccablement peignés.
Ses vêtements sont  souvent à la dernière mode
et un sourire bienveillant resplendit sur son visage.
*
Les enfants ressemblent aux personnages  des livres de la comtesse de Ségur,
Sages et bien élevés comme les petites filles modèles.
Leur maison se trouve  dans une mallette en carton bleue,
rangée précieusement dans le secrétaire de ma chambre.

Ils  m'attendent...


Hier, j'ai  vraiment  été très sage et  Maman  comme d'habitude  m'a donné
ses plus vieux magazines de Modes et travaux.
Elle sait déjà que je vais passer des heures à rechercher dans leurs pages
tous ceux que je vais adopter.
La famille idéale.
Mes découpages.


Avant en guise de récompense
elle  m'achetait de grandes planches prédécoupées
ou une petite fille attendait pour être habillée .
Elle savait que j'en raffolais...
et la promesse d'en obtenir  toujours des nouvelles 
ne faisait que décupler 
mon dévouement et ma sagesse.



Aujourd'hui   j'ai  reçu  les vieux magazines de Modes et Travaux
avec des pages entières de personnages
et plaisir suprême je sais que je  n'ai plus vraiment l'obligation
 d' être très sage.



Sitôt découpée 
ma famille prend  soudain vie.
La maman parle toujours  en esquissant un  joli sourire,
 vêtue chaque jour  et  suivant la saison
d'un de ses plus beaux atours. 


Les enfants partent  à l'école en même temps que moi,
sont    en vacances le  jeudi
et  vont se baigner  les beaux jours d'été
avec  de   très jolis maillots  colorés.
 L'hiver,  ils  s'envolent vers  les sommets enneigés
 encapuchonnés dans de magnifiques anoraks blancs
et moi, 
je pars toujours  avec eux.

Je deviens ainsi  la maîtresse du monde.
Un  tout  petit à ma mesure ou toute chose devient parfaite.
Ce sont mes créations , ils m'obéissent.
Ils sont les gardiens de mes désirs et de mes envies.
C'est mon jeu préféré!
les découpages...



Aujourd'hui, le  rêve s'est réalisé 
 la petite fille est revenue.

Elle a retrouvé sa mallette en carton bleu, 
 et  les   personnages de papier   qu'elle  pensait  perdus  à  jamais  
se sont mis soudain à  parler  sur l'écran  de son  ordinateur .

Alors tout un pan de son passé revint à sa mémoire 
et si c'était elle qui avait inventé ce jeu quand elle  n'était encore qu'une enfant


Alors prenant sa plus belle  plume elle se mit à écrire sur la page des rêves perdus 

"J'aimerai vous raconter une histoire 
" Celle d'une petite fille  de dix ans qui aimait découper des poupées 
dans les magazines de sa maman..."


Nicole



mardi 27 juillet 2010

Anne | L'année de mes 9 ans...

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 ANNE 

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... fut celle qui illumina mon enfance.

Elle fut émouvante, par la naissance de mon petit frère François.




Importante, car j'avais enfin un visage qui me ressemblait.





Et surtout excitante...
A la faveur d'une conversation, surprise à la sauvette, je sus que moi, et moi seule, serai invitée au mariage de Jean-François, pour y être DEMOISELLE D'HONNEUR !
;
L'attente dura deux jours avant que la nouvelle ne devint officielle. Elle me fut signifiée au cours d'un repas.
Je jouais à la perfection, mon rôle d'ingénue. Étonnée, ravie, en me gardant bien de rajouter pourquoi moi ?
Mes frères n'avaient pas besoin de savoir que les Garçons d'Honneur étaient déjà au complet. Ni ma sœur, que c'étaient ses 5 ans, qui l'avait mise hors course.
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Nous avions quelques comptes à régler, et je jubilais !
Ah tu as fini ma boite de Coco Boër, et bing.
Tu n'as pas voulu me prêter ton vélo, et bang.
Tu as rapporté que j'avais fait des tours de cours pendant les deux récréations, et bing et bang !
La déception qui se lisait sur leurs visages, était à la mesure de l'extase qui illuminait le mien !
J'eus pitié d'eux, je posais la question, mais la raison de mon invitation n'atténua en rien leurs regrets.

Car Jean-François n'était pas n'importe qui !
Sa mère, Tante Paulette, avait pour frère, Paul, ce grand-père que je n'ai pas connu, car il est mort à 36 ans quand mon père en avait 11.
Mais bien avant que Paul ne se marie, elle était une des meilleures amies de Blanche, ma grand-mère, qui enseignait à Barcelonnette, les maths, la physique et la chimie .


1919
Blanche, à skis, avec l'un des autres frères de Paulette,
lui aussi épris d'elle

1935


En juillet 1942, mon père, Pierrot, allait avoir 17 ans. Il avait son bac en poche, mais la guerre et l'éloignement de la Faculté de Montpellier, rendaient irréalisable son désir d'être médecin.
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C'était le début des vacances.
La famille allait quitter Millau où l'approvisionnement devenait une succession de jours sans, pour rejoindre Lacaune, les cousins fermiers, le cocon familial qui permettraient à tous de retrouver un peu de l'insouciance d'avant.
Il était jeune. A la rentrée, il attendrait la fin des hostilités. Il travaillerait, aidant ainsi ma grand-mère.
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C'est alors qu'il reçu une proposition qui allait changer le cours de sa vie.
Tante Paulette et Oncle Pierre, Lorrains expulsés par l'annexion allemande, s'étaient repliés dans un tranquille village de la Zone Libre. Ils invitaient mon père à les rejoindre.

Ce que furent les 3 années qu'il passa auprès d'eux mériterait des pages, et des pages...
Il quittait une famille éprouvée, déjà éclatée par le départ des aînés, où depuis 6 années il assumait la responsabilité d'Homme de la famille.


Il allait trouver un couple d'amoureux,




heureux parents de trois enfants de 6 à 2 ans.




Il n'eut pas à se faire une place, elle l'attendait...
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Ce fut un grand-frère adulé, et il vécut enfin la vie d'un adolescent sans souci, sous l'aile protectrice de Tante Paulette, ravie d'avoir agrandie sa couvée.



L’Oncle Pierre fut pour lui, une figure paternelle et un modèle. Il sut si bien l'intéresser à son activité d'Ingénieur des Ponts et Chaussées, que mon père prit la décision de mettre ses pas dans les siens.
Il suivit des cours par correspondance, passa le concours d'Ingénieur, et à 20 ans il était le plus jeune diplômé de France.
.
La guerre venait de se terminer, les Lorrains rentrèrent chez eux, dans la liesse que l'on imagine.
L’Oncle Pierre très fier de son neveu, l'intégrât dans son équipe, où se trouvait déjà sa jeune secrétaire, Jacqueline.



Et c'est ainsi que se rencontrèrent mes parents.


Ma mère fut accueillie dans la famille,
les bras grands ouverts.

Au jeune Jean François
échut le rôle de chaperon.

Il fut à la hauteur de sa responsabilité, le regard toujours ailleurs, excepté pour faire des photographies, un peu floues, des amoureux...
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Lorsque nous leur rendions visite, Tante Paulette était radieuse. Elle regardait ces 5 enfants turbulents, comme des cadeaux tombés du ciel, et nous préparait des festins inoubliables.
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L'Oncle Pierre, que je n'ai jamais vu autrement que souriant et la pipe à la bouche, était l'adulte le plus charmant que j'ai jamais rencontré. Il s'intéressait à nous, mais différemment. Pas de qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? Tu es sage, tu travailles bien en classe ?
Nous parlions de nous, de ce que nous aimions faire, et surtout de nos bêtises. Il nous écoutait, ses yeux pétillaient de plaisir, nous le faisions rire et nous ressentions une adoration mutuelle qui papillonnait autour de nous.

Le mariage de Jean François, aurait lieu à Beaucaire, où la famille de Claire vivait depuis toujours.
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Je vécu les semaines suivantes dans l'agitation des préparatifs.
Je devais porter une robe en soie sauvage. J'ignorais ce que c'était, n'essayais même pas d'imaginer. Je m'emparai de ces mots, et les rangeais secrètement avec Clématite et les Jardins Suspendus de Babylone.

C'est une amie de ma mère qui fut chargée de la réalisation de l'œuvre d'art.
.
Elle habitait comme nous au Corbusier,
et je ne me privais pas d'aller chez elle sans arrêt,
curieuse de toutes les étapes.

Je raffolais des essayages. Enfin, je pouvais m'identifier à ces mots rencontrés parfois dans mes lectures, elle se rendait chez sa couturière !


Au final, un petit défaut persistait.
.
Le col, divisé en deux arrondis, semblait empli d'air. Malgré plusieurs retouches, il ne fut jamais vraiment tout à fait plat, mais j'étais plus intriguée que contrariée. En cachette, je donnais de petits coups d'épingle, j'appuyais fort et le regardais reprendre tranquillement son allure un peu bombée.
La longue ceinture qui se nouait dans le dos, ses pans qui tombaient de façon si gracieuse, effacèrent le col.
Et mes ballerines, à la mode, me faisait sauter de joie. Pour une fois, ma sœur n'était pas ma copie conforme !


Le grand jour arriva.
Les mariés étaient... merveilleux.




Et moi, j'étais grisée de mon importance.
;
Au début du cortège, je remontais l'allée, tenant fièrement le voile de tulle d'une dizaine de mètres.
Jo, le petit frère de Jean François, était mon cavalier.


à Barcelonnette, un an avant le mariage

Nous avions le même âge, et tous nous répétaient que nous formions un si joli couple.
Nous nous entendions à merveille.
J'ai un peu oublié la réception qui suivit.
.
Sans doute que notre devoir accompli, sans trébucher et avec tout le sérieux requis, notre intérêt s'était reporté vers ce qui sortait de vraiment de l'ordinaire.
Le buffet installé pour les enfants, et LA pièce-montée, magnifique avec ses minuscules mariés plantés au sommet.
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Nous étions d'accord, c'était un crime d'y toucher.
Et nous fûmes d'accord aussi pour y participer de bon appétit.

En fin d'après-midi, nous nous sommes faufilés dans une pièce dévolue aux jeunes pour une surprise-partie moins guindée que le bal. Un tourne-disque remplaçait l'orchestre. Tous dansaient. Nous regardions.
.
Et puis je ne sais ce qui s'est passé, soudain une musique lente et mélancolique, remplaça les airs endiablés.
Nous nous sommes enlacés comme les autres, nos joues se sont rapprochées, nous avons commencé à tourner.
Le temps s'est suspendu.
J'avais grandi, j'ouvrai le bal à mon propre mariage.
Quand la musique s'est arrêtée, nous nous sommes regardés et j'ai su qu'il avait ressenti la même chose.

Les paroles étaient en anglais, mais peu de temps après, Les Compagnons de la Chansons ajoutèrent Vertes Campagnes à leur répertoire. Mes parents achetèrent le disque.
;
Les paroles me troublèrent profondément, tant elles étaient proches de ce que j'avais vécu. J'eus la sensation de recevoir un signe du destin. Je les chantais très souvent.
Et ainsi se passa le temps, tandis que j'attendais la venue de mon prince charmant...

Anne




Verte campagne
où je suis née.
Verte campagne
de mes jeunes années.
La ville pleure,
et ses larmes de pluie,
dansent et meurent
sur mon cœur qui s'ennuie.
Et moi, je rêve de toi, oh mon ami

Verte campagne
que tu es loin.
Douce campagne
de mon premier chagrin.
Le temps s'efface,
pour moi, rien n'a changé,
deux bras m'enlacent
parmi les champs de blé.
Et moi, je rêve de toi, mon amour.

Là, dans la ville toutes ces mains tendues,
m'offrent des fleurs et des fruits inconnus.
Et moi, je vais le long des rues perdues,
un air de guitare me parle de toi...

Verte campagne
où je suis née.
Douce campagne
de mes jeunes années.
La ville chante,
éparpille sa joie.
La ville chante,
mais je ne l'entends pas.
Et moi, je rêve de toi, mon amour..
13 juillet