samedi 5 juin 2010

Anne | Haut les mains... Peau d'lapin !...

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 ANNE 
.......................

Je savais pas lire encore, que déjà,  
j'aimais feuilleter les albums de famille.
Je les voyais comme des livres un peu différents,
aux pages séparées par un papier fragile,
 frémissant sous les doigts.
 Les illustrations
faisaient partie de ma vie,
et dès que je laissais mon regard y vagabonder,
une histoire s'esquissait d'elle-même.
.
Aux alentours de 4 ou 5 ans, celle-ci était ma préférée.
Mon père y était le plus beau du monde,
 il se livrait au même plaisir que le mien,
et il se tenait mal !
A Millau, Mémé qui avait le même fauteuil,
nous interdisait de nous asseoir ainsi.

Je ne pouvais m'empêcher de surveiller
cet objet bizarre accroché au mur.
 Je ne le quittais pas des yeux
 pendant de longues minutes,
de peur qu'il ne se décroche, et ne l'assomme.
.
En grandissant, je compris
ce qu'était le temps suspendu.
  Je cessais de m'inquiéter
pour sauter dedans à pieds joints
Malgré mon exigence de tout savoir sur tout,
je ne posais jamais aucune question.
Et c'est en cachette, que je me livrais
à cette activité dont je percevais l'étrangeté.
C'était grisant d'aller se promener 
dans une autre vie.


.
 .
Je m'embarquais sur ce navire.
Pour tout bagage, mon livre de géographie,
ouvert au chapitre des Colonies.
Et les récits que la Soeur Louis, parfois, 
nous faisait de son pays perdu.
Il ne m'en fallait pas plus.
J'accompagnais mon père, en plein travail
 le long d'un fleuve qui traversait la Cochinchine.
A Bouzonville il avait reconstruit les ponts,
et bien ici, il les bâtissait d'une rive à l'autre.
Sur l'eau, passait une felouque.

 Ce mot, je l'avais rangé parmi d'autres,
magiques et mystérieux,
dans une boite de Coco Boër.
C'était des mots captés au vol
dont souvent j'ignorais le sens.
Me charmaient leurs sonorités,
et le plaisir de me les répéter en chuchotant.

Un jour, j'ai su déchiffrer l'itinéraire 
 tracé sur une carte routière à côté de la photo.
Il s'agissait d'une croisière sur le Rhin !
Avec son ami Gaston
l'horloger que j'aimais et qui me fascinait,
ils étaient partis camper dans les Vosges,
et avaient passé une journée sur le fleuve.
 .
D'une aventure, je passais à deux.
Elles me plaisaient tout autant.
Mais aujourd'hui encore, 
c'est la première qui me semble réelle.
.

 .
Ce bandit sournois et surpris, je l'adorais !
On sentait qu'il avait mal préparé son coup.
Un vrai débutant !
Au lieu de tenir son révolver dans la main droite,
il s'agrippe à sa bougie.
Il n'a pas fait carrière... J'aurai bien aimé pourtant !
J'imaginais l'effet en cours de récréation.
Arrête de m'embêter 
ou mon père va débarquer avec son pistolet !
 .
Bien que je n'ai jamais rien su de ce moment,
je connaissais le chef du gang.
C'était Raymond, le fils de La Piccini,
une mamma italienne qui aidait ma mère,
et nous vouait un amour sans limite.
Je la revois, à chacun de nos retours à Bouzonville,
lever les bras au ciel en énumérant nos prénoms,
pleurer et rire, 
s'essuyer les yeux avec le coin de son tablier,
avant nous serrer dans ses bras, à nous étouffer.
 .
Raymond, passionné de photographie 
avait initié mon père.
Ainsi, grâce à lui, notre vie s'est inscrite 
sur de petites images aux bords dentelés. 
.
Et sans qu'il n'en sache rien,
il m'a appris à lire en dehors des mots.
Au début dans des scènes inanimées, et plus tard,
sur les chaises branlantes de la Cinémathèque.
.
Cette photographie-là, 
me transporte toujours dans le futur.
 Dix années sont passées...
 Nous sommes dans les Alpes comme chaque hiver.
A l'étage que nous occupons dans une vieille maison,
il y a un poêle, qui chauffe une pièce.
Le soir, les quatre plus grands,
nous nous entassons à deux par lit,
dans une chambre glaciale, que dis-je, boréale.
A l'extinction des feux, le même rituel.
Blagues de Toto racontées à voix basse,
chatouilles, pincemi-pince-moi,
rires et cris étouffés sous les couvertures.
 Le silence qui finit par s'installer
et c'est alors,
que d'une voix caverneuse, 

l'un d'entre nous
 se met à déclamer.
Minuit
L'heure du Crime...
Une rafale de mitraillette !!!
N'aie pas peur Maman
C'est Papa qui pète ! 
 .
Cela nous faisait hurler de rire.
Mon père débarquait, furieux de ce chahut,
menaçait de nous priver de ski.
Et nous nous planquions à nouveau sous les couvertures,
où le sommeil nous emportait, l'un après l'autre.
.
Le révolver est resté à Bouzonville.
Mais j'ai envie de filmer la scène...
Apparition de mon père,
le flingue dans la mauvaise main,
et nous, hoquetant aux larmes.
Il crie, rien ne se passe.
Il tire un coup en l'air, nous repartons de plus belle.
Et soudain il éclate de rire avec nous.
Ma mère, excédée de ne pouvoir dormir
vient voir ce qui se passe, et c'est reparti !
Mais cette fois, c'est lui qui clame,
Minuit
L'heure du crime...

Ça y est c'est dans la boite.
En noir et blanc bien sûr.
Chacun joue son propre rôle.
Mais mon père ne ressemblait plus à sa photo !
On ne le voit que de dos,
ombre démesurée
sur le mur de la chambre.
Quand à la fin, j'en ai tourné plusieurs,
et j'hésite encore.
Une seule certitude, drôle et brève...

Anne

.
.

dimanche 21 mars 2010

Anne | L'instant volé...


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 ANNE 

.......................
 A mon père.
A son regard qui n'a pas changé.
A ses photographies,
contrepoint de ma mémoire.
 .


Il adorait nous photographier.
Mais pas à l'improviste,
avec son appareil toujours à portée de main.
Non, en nous mettant en scène,
avec une totale et inhabituelle insouciance,
 s'amusant autant que nous.
.
Il nous entassait dans une charrette,
avec nos deux amis Daniel et Jean Marc.

et nous partions à la conquête du Far-west !

JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ
Il nous plaçait en rang d'oignons,
sortait un bonbon de sa poche en criant
Qui le veut?
et nous étions tous hilares la main en l'air.

jjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjjj
  Il nous entassait dans le coffre de la voiture,
 abaissait le capot,
et guettait le moment 
où nous nous allions sortir.

Nous restions tranquilles,
chuchotant doucement
en le faisant attendre.
Des rires fusaient, vite étouffés,
et nous bondissions tous ensembles
comme des étoiles filantes,
en nous égayant au quatre coins de la cour.
.
Nous étions bien trop rapides
pour qu'il nous attrape au vol !
Avec, dans sa main droite, 
son appareil à soufflet.

    
Dans la gauche,
la cellule pour mesurer la lumière.
Et son regard qui allait de la voiture au viseur,
où soudain,
nos silhouettes fugaces
se laisseraient à peine entrevoir...
.
La seule trace qui reste de
Prends-nous si tu peux ...
est celle d'une séance qui a tourné court !

Philippe, encore trop petit pour comprendre,
  s'est mis à hurler !

Nous escaladions des grilles,


recto et verso ...
 


A la maison,
il affectionnait particulièrement
les photos d'escaliers.
Une bêtise pour nous faire rire,
et voilà une jolie cascade d'enfants.
hhhhhhhhhhhhhhhhh
  Nous étions,
par moments, 
complètement déchaînés
.

.
.
ce qui me donnait l'impression 
d'être dans un chapitre de Treize à la douzaine,
que je connaissais par coeur.

Quand la nostalgie de l'Enfance
a commencé à m'étreindre le cœur,
 j'ai adoré retrouver ces photos.
Mon père qui s'inquiétait de leur devenir,
m'en a instituée la gardienne.
J'ai rangé et classé.
Qu'aucun instant
ne puisse être oublié.
J'ai débusqué les vieux négatifs,
 à l'époque laissés de côté,  jugés ratés.
.
Un jour j'ai terminé,
 tristement...
Il manquait des clichés banals.
L'intérieur de la maison de ma grand-mère
et celle de mes grands-parents,
la nôtre à Bouzonville.
Et tant d'autres images que j'avais en mémoire.

C'est en remettant de l'ordre dans le labo
que François, mon plus jeune frère,

a trouvé La Photo au fond d'un tiroir.
.
.
Qu'est-ce qu'elle m'a plu... 
j'ai pensé
Oh,  je ressemble à Ingrid Bergman ! 

Plus tard en l'envoyant à un ami,
je rajoutais spontanément, sans réfléchir, 

Je suis déjà tout ce que je vais devenir.

.
C'était un instant volé,
à Crémieux chez mes grands-parents,
après une séance d'escalier.
Il devait avoir encore l'appareil en main...
il m'a vue,
et clic clac !

Je n'arrivais pas à intégrer cette photo
parmi les autres prises au même moment.
C'est bien le même chemisier,
la même coiffure
le même collier de perles qui s'emboitaient,
mais je fais l'idiote,
et je ris d'un rire qui me semble soudain
sonner faux.
Qui étais je vraiment ?
 

Et pourquoi un aussi un beau portrait,
ne figurait pas dans l'album
à côté des autres ?
Était-ce ce regard
tourné vers l'intérieur,
et qui n'a rien d'enfantin ?

Je le connais.
Pierrot, mon père,

sur ses photos d'enfant,
  souvent,
a le même.
 .
Nous avons
toujours
le même...

Chacun le sien.

Anne





dimanche 14 février 2010

Anne | Intermède | Des traces dans la neige...



Il neige avec une régularité pendulaire ...
Le jardin disparaît, réapparaît,
se cache,
laissant place à une page blanche
sur la quelle s'imprime
toute une vie
invisible.



Le décor change.
Mes yeux s'y posent... De-ci, de-là.

Cette chaise de jardin public,
bancale,
je la regardais sans la voir...
Elle me rappelle ce qu'elle garde.
Intacts,
quelques souvenirs que j'aime évoquer.



Ce banc si inconfortable,
qui donne à présent envie de s'asseoir
sur ses lattes encoussinées.



S'asseoir pour essayer de lire
Les allers et venues de la nuit.



C'est la promenade du hérisson qui habite ici ...

Le jour, il dort.
Et dans le noir,
Il explore son territoire.



Et à nouveau
Tombe la neige
la la la la la la la
Anne


Souvenirs d'enfance

mercredi 10 février 2010

Anne | Les cheveux en quatre !

.
J'avais à ma naissance,
exactement le genre de coiffure
que je mis neuf années à obtenir!








J'ai grandi

J'ai
changé
et
j'eus
bientôt
la plus
belle
collection
de rubans
DE TOUTE
l'école.

Je détestais ça!
Mais à l'époque, il n'était pas question
de sortir sans coiffure.

Chaque mère avait son idée sur la question.
La mienne aimait les chignons.
Et tous les matins,
je retrouvais dans la glace,
cette image de petite fille sage
qui me ressemblait si peu.


Le soir j'allais au lit sans me décoiffer.
Et au réveil,
j'adorais  ces petites mèches indisciplinées.


Malgré mes protestations,
elles avaient vite fait de rentrer dans le rang.

Si au moins j'avais eu droit aux tresses.
Mais c'était la coiffure des moments
décontractés.


Je me mis à me rebeller,
en dénouant mes rubans
avant d'arriver à l'école.
Ce qui me valait, le soir, quelques punitions
que j'acceptais sans broncher.
J'en avais bien profité...

Le dimanche après-midi,
je profitais de la grande liberté
dont nous jouissions au Corbusier,
pour aller me promener avec une coiffure
que j'avais décrétée, à la mode.
Je laissais pendre mes cheveux.
Nouant sur ma tête,
un petit foulard de coton blanc,
imprimé de jolis bateaux rouges aux voiles bleues.
Mes cheveux me paraissaient plus longs,
et je trouvais que je ressemblais
à une vedette de cinéma !

Le Corbusier commençait à être connu,
sans doute à cause de son surnom
La maison du Fada,
et attirait quelques visiteurs.
Parfois Anglais ou Américains.
 Séduits par ces enfants s'amusant sans parent,
ils nous prenaient en photo.

Cliquez sur la photo pour l'agrandir

J'étais ravie.
Je les imaginais journalistes,
et mon portrait en première page, ailleurs.
Après leur départ,
nous faisions croire aux petits
que nous maîtrisions parfaitement leur langue,
et nous les épations en charabia improvisé.
Nous étions si convaincants
que nous finissions par y croire nous-même !

Et puis, j'ai eu envie de ressembler à un garçon,
et tentais de convaincre mes parents
de me faire couper les cheveux
COURTS.

C'était l'époque où,
tête en l'air et bavardant pendant les dictées,
j'alignais les zéros.
Un dimanche soir, devant mon cahier
 et son zéro hebdomadaire,
mon père, excédé, me lance
Ramène un 10 en dictée
Et le lendemain tu vas chez le coiffeur!
  
Lundi matin, orthographe.
Je piaffais d'impatience.
J'écoute ATTENTIVEMENT.
Jette un oeil en coin vers ma voisine.
J'avais un doute sur un mot,
 le sien avait l'air mieux,
je corrige,
et
Zéro... faute !
A la surprise générale !
Mais j'ai trouvé ça tout à fait normal.
Et cela a continué.
A dater de ce jour, j'ai toujours eu
d'excellentes notes en dictée.

Mon père a tenu sa promesse,
et a immortalisé ce moment.


Je n'aimais pas ce visage.
Je sortais de chez le coiffeur.
Heureusement,
une fois la tête sous l'eau,
les crans eurent vite fait de disparaître.




Me voilà,
Telle que je rêvais d'être.

J'ai eu cette coupe
Pratiquement toute ma vie,
Et je l'ai encore...

Mon visage a un peu changé.
Pas le regard
malicieux,
ni l'état d'esprit
qui l'a toujours accompagné !
Si bien que je ne reconnais pas vraiment
celle que j'aperçois au premier coup d'oeil
dans un miroir.
En l'étudiant mieux, c'est L'Autre que je vois.
Celle qui a empêché les années
de s'ajouter les unes aux autres.
Celle qui a détourné de moi ma vieillesse.
.
Ce n'est  pas demain que je crierai
Au voleur! ...

Anne







Souvenirs d'enfance
Souvenirs d'enfance