Ce jour était l'aboutissement d'une longue période
qui commençait bien avant Noël,
à la mi-décembre,
avec l'installation de la crèche.
Nos trois santons préférés étaient les Rois Mages.
Ils nous fascinaient, tellement différents des autres,
qui après tout,
n'étaient que les habitants ordinaires d'un petit village.
Eux, d'abord étaient les plus beaux.
Leurs couronnes dorées étincelaient
et leurs coffrets débordaient de pierre précieuses.
Et puis l'un d'eux était Noir, et nous n'en avions jamais vu.
Chaque année nous écoutions La Pastorale des Santons.
Nous en connaissions la moindre réplique.
Et nous pouvions, à n'importe quelle période de l'année,
déclamer 2 ou 3 phrases à toute allure, éclatant de rire
sous le regard éberlués de nos parents,
qui cherchaient en vain ce qu'il y avait de drôle !
Mais quand L'Ange commençait à décrire les Rois Mages
nous l'écoutions dans un silence émerveillé.
Ils arrivaient, chargés de tous les parfums de l'Arabie,
la myrrhe et l'encens...
Nous murmurions en même temps que lui,
ces mots dont le sens nous échappait.
Et ces parfums inconnus, nous emportaient
sur le tapis volant des mystères enfantins.
.
Le soir de Noël nous déposerions le Petit Jésus
entre ses parents, entonnant doucement
Il est né le Divin Enfant
Jouez hautbois
que nous entendions au bois
Résonnez Musettes
Il est né le Divin enfant
Chantons tous son avènement.
.
Mais les Rois Mages, eux, avaient d'abord un très long chemin à parcourir.
Ils le commençaient en haut de l'armoire, à l'autre bout de la pièce. Chaque soir, sauf bêtise grave, à tour de rôle, tenus à bout de bras par notre père, nous les rapprocherions de quelques centimètres. Ils voyageraient de meuble en meuble, et ainsi nous tromperions notre impatience, jusqu'à la Messe de Minuit, les cadeaux, les treize desserts... Gaspard, Melchior et Balthazar ne partageraient pas ces réjouissances. Ils continueraient à avancer, guidés par l'Étoile,
et pour qu'ils ne perdent pas courage nous leur chanterions, Dou-ouce Nuit... Sain-ainte nuit Dans les cieux ! L'astre luit. Le mystère annoncé s'accomplit Cet enfant sur la paille endormi, C'est l'amour infini...
Enfin arrive le 6 janvier !
Et en plein péché de gourmandise,
nous n'avions plus qu'une idée en tête.
Elle fleurait bon la fleur d'oranger,
Ce parfum-là nous le connaissions
et voulions y goûter à nouveau.
Nous admirions les fruits confits,
dansant la farandole sur des grains de sucre
qui pour nous, symbolisaient la neige.
Et le rituel commençait.
D'abord, il fallait la partager.
Et couper un cercle en sept parts ÉGALES !...
Heureusement, il y avait la Part du Pauvre
Ce qui simplifiait le problème.
Le plus jeune d'entre nous,
d'abord ma sœur, puis plus tard mon frère,
allait sous la table.
Lui revenait le privilège de répondre à la question,
pour qui celle-là ?
Avant d'attaquer notre part, nous attendions sagement que chacun soit servi. .
A ce moment-là l'excitation devenait palpable,
chacun surveillant les autres,
tout en essayant de découvrir la fève.
La brioche fondait dans la bouche...
Et soudain, un cri jaillissait ! je l'ai !
L'heureux(se) élu(e) mettait sa couronne
choisissait son Roiou sa Reine, et nous trinquions à leurs santés avec de la limonade.
La tension était retombée et le repas s'achevait joyeux.
Bientôt, les santons
.
enveloppésavec soin,
retrouveraient leur boite.
Et le Pauvre ?
Il ne venait jamais !
et nous aurions chacun un dernier petit goût de fête,
le lendemain matin au petit-déjeuner.
Ce n'était pas si important d'avoir la fève,
chacun savait que son tour viendrait.
Ce que nous aimions tous,
c'était l'excitation du moment
et ce délice qui finissait Noël.
Mais moi j'avais un secret.
Chez ma Mémère,
j'écoutais avec elle
REINE D'UN JOUR.
Une dame était choisie dans la rue
et toute une journée elle voyait
tous ses souhaits réalisés.
C'était en vrai,
mais on aurait dit qu'elle devenait fée.
Je jouais toute seule
à imaginer qu'on allait Me choisir. J'avais décidé que ce serait le 6 janvier.
Je chante et voila que dans le ciel noir les étoiles s'illuminent
les unes après les autres.
Je lève la tête à la recherche de la plus grande , la plus belle,
celle que j'ai délicatement posée au dessus de l'étable
"l'Etoile du Berger. "
Elle est là !
Je la regarde et soudain mille ans s'effacent.
_Je ne connais pas encore la misère,
la solitude, le désespoir, le manque d'amour.
Que pour certains Noel puisse être un jour triste malgré les lumières qui scintillent,
je ne peux encore l'imaginer.
Pourtant tout cela je le sais déjà
Maman me l'a dit.
Mais je n'ai que dix ans, et l'ais je vraiment bien compris
moi qui ne connais pas grand chose de la vie.
Impatiente,
J'attends le nez collé contre la vitre ,
faisant des ronds de buée à la fenêtre de la cuisine,
l'arrivée de grand Papa , grand Maman,
Pépé, Manou , Tatie Toinette et Tatie Jeanne.
Soudain, je les aperçois et mon cœur bat la chamade.
Ils ont les bras chargés de cadeaux.
Au travers des mailles du" filet" que porte au poignet ma grand mère,
il me semble entrevoir un paquet au reflet argenté.
Les battements de mon cœur s'accélèrent.
Je ferme les yeux.
j'essaye pour la dernière fois de deviner si notre lettre au Père Noël a bien été lue.
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Dans la maison ça sent bon.
La table est déjà dressée.
Maman prépare un bon repas .
Papa chante en cirant ses chaussures.
Nous sommes heureux, mais nous ne le savons pas encore !
Comment imaginer lorsqu'on a dix ans que le rêve est souvent plus court que prévu.
Qu'un jour toutes ces lumières s'éteindront les unes après les autres. ___________
Ce sont les plus Anciens qui partiront les premiers.
Je n'ose même pas imaginer avec quelle douleur
Maman nous a quittés un si beau jour d'été .
six jours seulement avant leur 50 ans de mariage.
Quelques années après, c'est Papa qui est parti la rejoindre,
Sans doute l'attendait elle parée de sa plus belle robe.
Aujourd'hui,
Les lampions de la fête sont toujours là.
Les guirlandes brillent encore de tous leurs éclats.
Et les petits santons qui descendent lentement la colline de papier froissé
ont toujours le même regard paisible.
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Les grands parents arrivent encore au petit matin les bras chargés de présents et
les enfants impatients les attendent toujours derrière les fenêtres
en faisant des ronds de buée sur les vitres glacées . __Mais les guirlandes ne brilleront plus jamais de la même façon
pour tous ceux qui sont devenus
" Orphelins de leur enfance."
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En cette veille de Noël puis- je encore
griffonner sur une page de mon vieux cahier d'écolière,
un petit mot que je glisserais sans faire de bruit,
dans les souliers de mes parents au coté des nôtres.
"Papa , Maman ,
ce n'est pas seulement votre absence qui m'est intolérable mais la longueur de cette absence ."
Pour mon premier départ en vacances,
nous allions traverser la France en diagonale.
Partant de Bouzonville pour rejoindre Millau..
;C'était un peu la diagonale du fou,
comme on dit aux échecs.
Mon père effectuait sa journée de travail,
installait sa famille dans la vieille 203,
et en route ! pour 850 kms,
guidés par le bonhomme Michelin.
.
....
Mon frère et moi, étions à l'arrière,
installés dans nos hamacs.
.
Il avait un an et demi
.
et moi j'étais un gros bébé joufflu.
.
..
J'imagine ces heures qui défilent.
L'un qui pleure, et réveille l'autre.
Quand j'ouvrais les yeux
je devais être fascinée de voir, à travers la vitre,
le ciel, la lune, les étoiles,
les lumières d'une ville au loin,
un paysage à l'aube...
Et sur ces images empreintes de féerie
qui m'ont faites rêver toute ma vie,
je me rendormais.
.
Nous sommes arrivés au petit matin.
Si Mémé connaissait déjà Jean Paul,
je lui étais encore inconnue. .
Elle m'a prise dans ses bras,
s'est penchée sur moi...
Je sens encore son souffle sur ma joue.
Elle m'a souhaité une vie riche en découvertes
comme l'avaient été ses années de jeunesse,
et la force de retomber toujours sur mes pieds
quelles que soient les difficultés de la vie.
J'ai promis de me battre pour être moi-même,
et de ne jamais baisser les bras.
Les bébés communiquent dans leur langage.
Certaines personnes le comprennent encore.
Ma grand-mère savait.
Elle a été l'une des personnes les plus importantes de ma vie...
abandonné notre porte-plume pour un stylo..
Nous avons suivis nos traces,
de façon aussi parallèle
que des skis sur la neige.
.
Nous prenons notre temps...
Il ne suffit pas de regarder le passé
pour se mettre à raconter.
Il faut une étincelle,
un souvenir particulier
et la nécessité irrépressible de l'écrire.
Le résultat est à la mesure de l'attente ...
.J'aime cet espace que nous partageons,
que nous sommes seules à voir,
et dont j'ai imaginé le décor.
.. Très épuré. Des murs blancs, des fenêtres. . Chacune a une pièce personnelle
où l'autre n'entre pas. Celle, beaucoup plus grande, que nous partageons
est de loin ma préférée.
Sur les murs, côte à côte,
toutes les photographies qui ont illustré nos récits.
.Trois d'entre elles sont à part..
La. photo où Nicole m'a reconnue
;
Celles de nos maillots à smocks.
Ils séchaient mal,
le sable s'y trouvait à l'aise entre les plis.
Mais pour nous c'était les plus beaux du monde,
et nous les adorions.
J'aimerai qu'on me le rende,
et avec lui les plages où nous allions.
La Pointe Rouge, Cassis, La Ciotat,
et celle au nom si étrange, de Cuvermer.
Il m'a fallu des années pour comprendre
que le David de Michel Ange qui regardait la ville
montrait... son dos à la mer.
Il en est ainsi des mots de l'enfance,
entendus sans les avoir lus,
et que l'on se répète plus tard avec une tendresse dans la voix...
Je n'aurais jamais pensé lorsque j'ai commencé à écrire sur ce blog
que je serais partie fouiller aussi loin dans ma mémoire.
Comme ces images gravées à tout jamais sur une pellicule,
les impressions et les sentiments demeurent intacts
et le film défile avec une facilité parfois déconcertante.
Lorsque j'étais enfant,
je croyais que ma vie se déroulait comme au cinéma.
J' étais la vedette du film.
"ON" me regardait !
L' idée peut paraître saugrenue et singulière,
mais elle m'a permise d'apprendre la retenue.
Il fallait que je sois toujours correcte envers les autres,
que je me tienne bien,
que je sois polie, obéissante, charitable
et respectueuse...
Mon imagination fantasque s'amusait à déborder
et le "monde" que j'inventais et dans lequel j'évoluais
était sans contexte à mes yeux
exceptionnel.
Je ne peux expliquer
la raison qui me pousse à écrire tout cela aujourd'hui !
Les mots jaillissent, se bousculent presque à mon insu
pour couler comme l'eau de la source
de Beaumont de Pertuis, le petit village Provençal,