jeudi 10 mars 2011

Nicole | L' homme au pardessus beige.




NICOLE



Je ne savais jamais ou il serait l'homme au pardessus beige .
Il surgissait parfois de nulle part sur le chemin  de  mon école.
Souvent  je l'entendais avant même  de l'apercevoir,
  et  parfois  ce fut l'inverse.


Il criait    "A bas les Français d'une voix rauque et  tonitruante. 
Les enfants se moquaient de lui, 
  les parents changeaient de trottoir, 
baissaient les yeux,
 il ne fallait pas le voir !


Je ne sais ou il dormait l'homme au pardessus beige
 dans la rue 
peut être.
ou bien nulle part !

Parfois, il  attendait devant la petite porte de l'école
 le morceau de pain et de jambon que lui avait préparé  
 Sœur Marie Monique 
dans le silence du réfectoire vide.  
  Puis,  toujours d'un pas mal assuré
 il repartait,  
titubant   vers ce  nulle part.
  Son nouveau  toit.


Il était immense dans son pardessus beige 
 et  pourtant  il semblait  si  fragile, si vulnérable .
Il avait tout perdu.
 Famille, femme, enfants pendant cette satanée guerre d'Algérie. 
Il ne lui restait plus rien, 
seulement comme compagne cette bouteille vide  posée à ses  cotés  
et cette voix  forte  pour hurler  sa détresse.

Il s'appelait Charlie  l' homme au pardessus beige. 
Et  ce jour là,
sans doute  pour la première fois,
 la réalité de la vie me sautât cruellement   au visage.



Nicole.

En mémoire à Charlie le premier SDF
 que je connus sur le chemin de mon école.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

tu es revenue super, c'est tellement agréable de remonter le temps avec toi. Merci
à bientôt
manouedith

sur les traces de notre enfance a dit…

Tu réveilles un souvenir sonore.

Cette voix, je l'entends sans y associer avec netteté la silhouette à qui elle appartenait. Je devais être très jeune encore, car je me souviens que nous avions adopté ce cri, mes frères et moi, et qu'il ressortait au cours de nos jeux d'enfants.
Dénué de tout sens, c'était comme un seul mot, à ne pas dire en présence des parents, aussi anodin pour nous que "et mon cul c'est du poulet ?" ou "pas de témoins, pas de papiers, vas te laver les pieds !", dont l'origine reste mystérieuse.

Mais cet "A bas les français", il me revient comme une claque. Nous le prenions pour un fou et adopter ce cri, c'était signifier qu'il "n'appartenait pas."
Extérieur à ce monde étriqué que bâtissait autour de nous nos parents. Un monde normatif à l'excès, où le seuil de différence était placé très bas, et où nous apprenions à rejeter tout ce qui était en deçà.

A bas les français, silence, A bas les français, silence, A bas les français, silence...
Une litanie qui me confronte à cette étroitesse d'esprit, où rien jamais ne nous était expliqué, argumenté. Où nous fut refusé la moindre velléité de décider par nous même, d'élaborer une réflexion qui puisse aller à l'encontre du dogme.
Ce fut si insidieux, qu'aujourd'hui encore, il m'arrive de lutter pour que mon cerveau rationnel domine certains jugements spontanés dont j'ai honte.

A bas les français. Il reprend vie maintenant. Et je le respecte.

Anonyme a dit…

en faisant mon dernier billet, j'ai pensé à toi
à bientôt
manouedith