NOTRE PLUS GROS MENSONGE
................
Nous n'avons jamais écrit de texte ensemble.
Nous nous sommes hasardées un jour,
à rédiger chacune sur le même
thème.
que nous avons repris nos habitudes.
Ce que l'on veut, quand on veut...
Et c'est très bien ainsi.
.
Voici un Intermède à épisodes.
Une partie de ping-pong.
Une façon d'aller à la pèche,
et de redécouvrir quelques secrets oubliés.
Tout en dévoilant, à travers eux,
nos personnalités de petites filles des années 50,
qui adoraient les vacances
et détestaient l'inventeur
de ces Devoirs de Vacances
qui plaisaient tant à leurs parents.
A tour de rôle,
l'une propose un thème
et chacune le traite à sa façon
.
ANNE
.
Enfant, j'adorais mentir, sans avoir l'impression d'enfreindre une
quelconque règle. Ce n'était pas l'avis des adultes qui se sentaient
responsables de mon éducation. Punitions, fessées, promesses de ne pas
recommencer... C'était plus fort que moi, à la première occasion,
j'inventais à nouveau un monde à ma mesure.
.
Ce n'est pas un, mais deux mensonges qui arrivent ex æquo.
.
Le premier concerne une petite fille, à qui les Sœurs de notre petite
École, auraient donné le Bon Dieu sans confession.
Tous les vendredis, avant la classe, il y avait une messe à laquelle nous
étions libres d'aller. J'y fus assidue, sans doute pour le plaisir de
quitter la maison, seule.
.
Remarquant que je communiais et qu'au sortir de l'église, je restais à
l'écart pendant que les autres dévoraient leur pain au chocolat, la Sœur
Louis s'inquiéta. A jeun jusqu'à midi !
Sans me démonter, j'argumentais que je faisais semblant de déjeuner à la
maison, mes parents refusant que je parte si tôt le ventre vide.
.
Ma piété fit rapidement le tour de l'École, et le vendredi suivant, me
voilà attablée devant le meilleur des petits-déjeuners.
Cacao bien crémeux, petits pains au lait tout frais, et tout autour de moi,
des regards qui m'auraient fait me prendre moi-même pour une sainte.
Ce régal dura plusieurs mois.
.
J'ai oublié dans quelles circonstances il prit fin. Heureusement, cette
histoire fut interprétée comme un malentendu et j'en sortit grandie.
.
Mes parents ? Bien
sûr que tu peux communier à la messe !
Les Sœurs ?
Tu vois, tout s'arrange, le Bon Dieu veille à tout !
.
Il veillait à tout, mais à dater de ce jour je dus, tristement, me
contenter des tartines ordinaires, que j'avalais
dans la cour comme les autres...
.
.
Le second se passe un jeudi,
au
Corbusier
où nous habitions.
Son surnom, la Maison du Fada
n'est sans doute pas étranger à la crédulité de deux de mes camarades de
classe. J'avais réussi à leur faire accepter l'idée, qu'à côté de notre
appartement, j'en avais un pour moi toute seule.
Et les voici qui débarquent, avec leurs poupées et leurs landaus, pour
passer l'après-midi dans mon chez-moi.
;
L'histoire se termine mal. Ma mère ne connaissant pas leurs parents
refusa de les recevoir. Et pour cette invitation sans permission, punie
dans ma chambre et interdiction d'en sortir.
.
Mais qu'allais-je pouvoir inventer pour sauver la face le lendemain
?
.
Je me lançais, sans filet, dans une explication peu crédible, qu'à ma
grande surprise elles avalèrent sans sourciller.
D'abord, la dame était la bonne. Et comme elle ne faisait jamais le ménage
dans mon appartement, elle en ignorait l'existence.
Ensuite, ma mère toujours absente le jeudi, interdisait que l'on reçoive
des visites. Voilà !
C'est ce jour-là que je compris la signification de
J'ai eu chaud !
A toi, la suite !
.
NICOLE
.
Je n'aimais pas trop mentir !
Tout d'abord parce que Maman m'avait avertie
que lorsque je disais un mensonge
elle s'en apercevait aussitôt,
c'était écrit en lettres rouges au milieu de mon front
et je le croyais!
Et puis aussi
pour ne pas faire de la peine à mon ange gardien qui me soufflait à
l'oreille
que ce n'était pas bien.
Mais je me souviens d'un mensonge énorme
dont le souvenir me fait encore honte aujourd'hui !
J'étais à l'école Coin Joli.
C'était la récréation !
Peut être pour me rendre intéressante
ou retenir l'attention de mes petites camarades,
je me mis à inventer une histoire fort
rocambolesque
semblant sortir tout droit d'un des contes de Perrault ou
d'Andersen.
.
Je me mis à chuchoter à mes petites amies ébahies,
que mon goûter était peut être empoisonné.
Je dis bien "peut être" car je comptais bien le manger
devant leurs visages horrifiées.
Acculée devant leurs questions pressantes,
et voyant que le jeu fonctionnait à merveille,
le mensonge devenant rapidement réalité,
je me mis à leur raconter
sans sourciller le moins du monde,
et sans aucun remords,
que j'étais une princesse mais que...
personne ne le savait.
.
Soudain, l'admiration, l'étonnement et l'intérêt
suscités par ma révélation sur le visage de mes amies,
me firent tellement d'effet que transportée par mon
histoire,
je devins de plus en plus convaincante
me prenant moi même à mon propre piège.
Tous les regards interrogateurs de mes camarades fixés sur moi
dans l'attente de la suite du récit, m'encouragèrent vivement à
poursuivre.
Et voilà que j'inventais de plus belle.
Leur racontant que j'avais été adoptée puis cachée dès ma naissance,
à cause de vilains méchants qui voulaient me faire disparaitre,
pour quelque raison inconnue que je n'avais certes pas encore
élaborée,
et qu'à tout moment,
ils pouvaient transformer mon simple pain au
chocolat
en un horrible goûter empoisonné.
J'étais en danger tous les jours !
Et j'en rajoutais....j'en rajoutais....
Me rendant rapidement compte
de l'excitation que l'histoire provoquait sur leurs visages
et voyant leurs mines
perplexes et horrifiées ,
je les rassurais en leur disant
que le pain au chocolat que je tenais dans la main ,
n'était peut être pas le fatal goûter.
Tout en maintenant le suspense,
Je terminais mon récit en affirmant à mon attentif entourage,
qu'un jour le monde découvrirait qui j'étais
vraiment,
et que je n'aurais plus jamais rien à craindre.
J'avais bien sûr agrémenté mon récit de maints détails plus
farfelus et plus originaux
les uns que les autres.
Tout en faisant mine de ne pas entendre leurs cris
"Ne le mange pas !"
j'entamais mon goûter avec délectation.
Contemplant sur leurs visages terrifiés,
avec une fierté toute empreinte de remords,
l'admiration provoquée par mon geste courageux.
.
Je ne saurais jamais si elles ont vraiment cru à mon histoire
ou si elles ont toutes fait semblant.
Mais je fus tellement convaincante,
que pendant le temps d'une récréation,
je fus persuadée moi aussi que tout était vrai..
.
.
Messieurs les Psychanalystes
ne voyez surtout pas dans ce récit un sujet
d'analyse,
mais seulement une petite fille dont l'imagination débordante,
a fait que ce jour là,
elle avait envie d'être une Autre.
.