dimanche 14 février 2010

Anne | Intermède | Des traces dans la neige...



Il neige avec une régularité pendulaire ...
Le jardin disparaît, réapparaît,
se cache,
laissant place à une page blanche
sur la quelle s'imprime
toute une vie
invisible.



Le décor change.
Mes yeux s'y posent... De-ci, de-là.

Cette chaise de jardin public,
bancale,
je la regardais sans la voir...
Elle me rappelle ce qu'elle garde.
Intacts,
quelques souvenirs que j'aime évoquer.



Ce banc si inconfortable,
qui donne à présent envie de s'asseoir
sur ses lattes encoussinées.



S'asseoir pour essayer de lire
Les allers et venues de la nuit.



C'est la promenade du hérisson qui habite ici ...

Le jour, il dort.
Et dans le noir,
Il explore son territoire.



Et à nouveau
Tombe la neige
la la la la la la la
Anne


Souvenirs d'enfance

mercredi 10 février 2010

Anne | Les cheveux en quatre !

.
J'avais à ma naissance,
exactement le genre de coiffure
que je mis neuf années à obtenir!








J'ai grandi

J'ai
changé
et
j'eus
bientôt
la plus
belle
collection
de rubans
DE TOUTE
l'école.

Je détestais ça!
Mais à l'époque, il n'était pas question
de sortir sans coiffure.

Chaque mère avait son idée sur la question.
La mienne aimait les chignons.
Et tous les matins,
je retrouvais dans la glace,
cette image de petite fille sage
qui me ressemblait si peu.


Le soir j'allais au lit sans me décoiffer.
Et au réveil,
j'adorais  ces petites mèches indisciplinées.


Malgré mes protestations,
elles avaient vite fait de rentrer dans le rang.

Si au moins j'avais eu droit aux tresses.
Mais c'était la coiffure des moments
décontractés.


Je me mis à me rebeller,
en dénouant mes rubans
avant d'arriver à l'école.
Ce qui me valait, le soir, quelques punitions
que j'acceptais sans broncher.
J'en avais bien profité...

Le dimanche après-midi,
je profitais de la grande liberté
dont nous jouissions au Corbusier,
pour aller me promener avec une coiffure
que j'avais décrétée, à la mode.
Je laissais pendre mes cheveux.
Nouant sur ma tête,
un petit foulard de coton blanc,
imprimé de jolis bateaux rouges aux voiles bleues.
Mes cheveux me paraissaient plus longs,
et je trouvais que je ressemblais
à une vedette de cinéma !

Le Corbusier commençait à être connu,
sans doute à cause de son surnom
La maison du Fada,
et attirait quelques visiteurs.
Parfois Anglais ou Américains.
 Séduits par ces enfants s'amusant sans parent,
ils nous prenaient en photo.

Cliquez sur la photo pour l'agrandir

J'étais ravie.
Je les imaginais journalistes,
et mon portrait en première page, ailleurs.
Après leur départ,
nous faisions croire aux petits
que nous maîtrisions parfaitement leur langue,
et nous les épations en charabia improvisé.
Nous étions si convaincants
que nous finissions par y croire nous-même !

Et puis, j'ai eu envie de ressembler à un garçon,
et tentais de convaincre mes parents
de me faire couper les cheveux
COURTS.

C'était l'époque où,
tête en l'air et bavardant pendant les dictées,
j'alignais les zéros.
Un dimanche soir, devant mon cahier
 et son zéro hebdomadaire,
mon père, excédé, me lance
Ramène un 10 en dictée
Et le lendemain tu vas chez le coiffeur!
  
Lundi matin, orthographe.
Je piaffais d'impatience.
J'écoute ATTENTIVEMENT.
Jette un oeil en coin vers ma voisine.
J'avais un doute sur un mot,
 le sien avait l'air mieux,
je corrige,
et
Zéro... faute !
A la surprise générale !
Mais j'ai trouvé ça tout à fait normal.
Et cela a continué.
A dater de ce jour, j'ai toujours eu
d'excellentes notes en dictée.

Mon père a tenu sa promesse,
et a immortalisé ce moment.


Je n'aimais pas ce visage.
Je sortais de chez le coiffeur.
Heureusement,
une fois la tête sous l'eau,
les crans eurent vite fait de disparaître.




Me voilà,
Telle que je rêvais d'être.

J'ai eu cette coupe
Pratiquement toute ma vie,
Et je l'ai encore...

Mon visage a un peu changé.
Pas le regard
malicieux,
ni l'état d'esprit
qui l'a toujours accompagné !
Si bien que je ne reconnais pas vraiment
celle que j'aperçois au premier coup d'oeil
dans un miroir.
En l'étudiant mieux, c'est L'Autre que je vois.
Celle qui a empêché les années
de s'ajouter les unes aux autres.
Celle qui a détourné de moi ma vieillesse.
.
Ce n'est  pas demain que je crierai
Au voleur! ...

Anne







Souvenirs d'enfance
Souvenirs d'enfance

lundi 8 février 2010

Nicole | La dame au chapeau vert.


NICOLE
|


A huit ans,
je pensais que le monde des adultes n'était réservé qu'aux grandes personnes,
et que celui dans lequel j'évoluais,
n'appartenait qu'aux enfants.
Papa et Maman, étaient certainement déjà nés
"Parents" !
Il ne pouvait en être autrement !

J'étais aussi  persuadée que le Temps n'avait jamais existé avant ma naissance
et j'avais la prétention de croire,
qu'il avait  vu le jour en même temps que  moi,
un beau matin de juillet.


Pourtant je savais qu'il y avait eu un "Avant"
Je l'apprenais tous les jours à l'école dans mon livre d'histoire.
Mais tout cela me paraissait  flou et bien trop lointain .


Je n'avais pas encore compris le véritable sens du mot "Fin"
Aux récits, je savais toujours inventer une suite, jamais un début .
Et puis, quelle importance...puisqu'ils commençaient tous par
" Il était une fois... "

Mon père avait été un enfant.
Je dus me rendre à l'évidence, le jour où la preuve fut étalée
sur la table de la cuisine de ma grand mère.
Papa était là... sagement assis parmi d'autres enfants, les bras croisés,
pareil à ces écoliers que l'on voit avec nostalgie sur les photos des calendriers.
Je savais que c'était lui et en même temps il était un Autre.
Un petit garçon que je ne connaissais pas et dont le visage pourtant m'était singulièrement familier.
L'enfant que j'apercevais là sur cette vieille photo, semblait sortir d'un Ailleurs,
d'un passé très lointain au regard austère.
Tout en me ressemblant étrangement...




1931.

Papa avait huit ans.
Il était élève au Pensionnat du Sacré Cœur.
Ces regards d'enfant sur ces photos de classe ne tardèrent pas à m'interpeller.
Peut être pas tout de suite, un peu plus tard ...
Il fallait d'abord que je m'en imprègne, que je les observe,
 avant de comprendre
le pourquoi...
Pas de sourires affichés, seulement une retenue  mesurée et une gravité profonde.
Mais à travers ces visages fermés, en les observant bien
je ne tardais pas à percevoir dans leurs yeux enfantins une petite étincelle,
la même que celle qui brillait dans les miens.



Familiers!
Ils le devinrent bientôt.
Il m'étaient tous inconnus et pourtant je les connaissais.

"Laisse-moi deviner ou se trouve papa ! "
disais-je à ma grand mère
et mon doigt ne se trompait pas.
Ses yeux malicieux semblaient déjà me dire,
"Je suis là , ma chérie " !




Si j'ai intitulé ce texte "La dame au chapeau vert"
ce n'est pas sans raison !
Tout d'abord un clin d'œil à un ouvrage oublié
"Ces dames aux chapeaux verts"
Et puis, je trouvais la similitude amusante !

Lorsque le carillon de la cloche retentissait,
les enfants aux visages figés sur la photo du Pensionnat du Sacré-Cœur,
redevenaient des gosses comme les autres.
Et mon papa était un petit coquin !




L'école n'était pas très éloignée de la maison,
et bien que ma Grand-Mère puisse apercevoir du haut de son balcon son fils jouer dans la cour de récréation elle ne pouvait le suivre des yeux sur le chemin du retour.
Il le savait !
Et c'est au détour d'une de ces rues qui le ramenait à la maison
qu'il fit une rencontre inoubliable.
"La dame au chapeau vert."

Bien entendu la couleur de son couvre chef importait peu,
mais sa tenue vestimentaire incitait à la Moquerie,
et les garçons en saisirent immédiatement l'occasion.
A la description qu'en faisait mon père lorsqu'il nous racontait son aventure,
je m'imaginais déjà cette personne.
Je la connaissais !
Je l'avais déjà vue, dessinée sur une des pages en couleur d'un de mes livres de la collection Rouge et Or
"Mon petit Trott".
La préceptrice anglaise a la mine sévère et
dont les baleines de son corset semblaient remonter jusqu'à ses maxillaires.




La dame au chapeau vert trottait d'un pas alerte sur le même trottoir que mon père.
Dieu sait vers quelle direction !

Avec ses petits camarades, il n'était pas pressé de rentrer.
La demoiselle devint vite l'unique cible de leurs railleries.
"Petits garnements! " criait elle.
Mais ni les injonctions, ni les menaces d'aller se plaindre à leurs parents
ne venaient à bout de leurs moqueries
Rien n'y faisait !
Au contraire ...
Ce jour là mon père n'était pas en reste,
Il se trouvait en première ligne,
comme le Chevalier Bayard à l'assaut de la citadelle.
Cette demoiselle
Il ne l'avait jamais vu !
Le risque d'être puni lui paraissait insignifiant.


Bientôt lassé par les  taquineries infligées à la demoiselle au chapeau
et par son détour buissonnier par les ruelles étroites,
Papa décida qu'il était temps de rentrer.
Après s'être revêtu de son uniforme d'enfant sage,
il se mit à gravir à grandes enjambées les quatre étages de sa maison
tout en espérant  que son retard ne lui coûte une réprimande.


En haut de l'escalier,
ma grand mère agitait déjà la main lui faisant signe de se dépêcher.
Encore quelques marches et il serait auprès d'elle.
Qu'avait elle de si important à lui annoncer ?
Avait-elle prévue une bonne surprise..

Lorsqu'il arriva  tout essoufflé au dernier étage,
quelle ne fut pas sa stupéfaction !
Aux cotés de sa mère se tenait droite et fière, la demoiselle bafouée...
La "Dame au chapeau vert".

"Voilà mon petit André " chuchota ma grand mère.
A cet instant, Papa savait qu'il avait été démasqué.
Plus aucun son  ne voulu sortir  de ses lèvres
et les paroles de politesse qu'il aurait fallu formuler en de telle circonstance,
semblèrent soudain s'étrangler dans sa gorge.
"Je te présente ton professeur de diction " ajouta ma grand mère.
A ces mots, ses joues devinrent aussi rouges
que les pommes qui se trouvaient rangées dans la corbeille à fruits de la cuisine .
La sanction n'allait pas tarder à tomber !
Il en était convaincu...


Les joues  cuisantes de remords et de honte
Papa se mit à bafouiller un timide
" Bonjour",
tout en adressant un regard implorant à la  demoiselle.
" Voyez comme cet enfant a bien besoin de vos leçons ! "
ajouta ma grand mère.


L'aventure s'arrêta là.
Le secret fut gardé et la leçon comprise.
Sans doute pour lui éviter une punition bien méritée,
la demoiselle  n'en a jamais soufflée mot à quiconque.
Quant à Papa, il  lui en a conservé une reconnaissance éternelle.
Ce jour là, le rouge inhabituel de ses joues et son bégaiement inopiné
furent certainement attribués à quelque juvénile timidité.
L'incident fut vite clos.
.

Mlle Chabrand était professeur de diction au pensionnat de filles
" Saint Charles"
Son chapeau n'était peut être pas vert,
mais l'indulgence dont elle avait dispensée mon père ce jour là,
en fit désormais à ses yeux, et pour toujours
une demoiselle très respectable.
"La dame au chapeau vert... "


Nicole.


Devoirs de vacances





Les cheveux en quatre




Souvenirs d'enfance